mardi 11 décembre 2012

La Syrie et la vérité sur les armes chimiques

Bachar al-Assad, la Syrie et la vérité sur les armes chimiques 

 
Plus le mensonge est gros, plus les gens le croient. Nous savons tous qui a dit cela, mais cela marche toujours. 
"Bachar al-Assad possède des armes chimiques. Il va peut-être les utiliser contre les Syriens, son peuple. S’il le fait, l’Occident ripostera." Nous avons déjà entendu cette histoire l’an dernier, et le gouvernement d’Assad a répété à qui veut l’entendre que s’il avait des armes chimiques, "jamais il ne les utiliserait contre son peuple".
 
10 décembre 2012
Robert Fisk
 
 

Mais Washington entonne de nouveau le même refrain : Bachar a des armes chimiques, il va les utiliser contre son peuple et s’il le fait… Et, bien s’il s’en sert, Obama, Mme Clinton et l’Otan seront très, très fâchés.

Mais, au cours de la semaine, dernière, les habituels pseudos experts, ceux qui ne savaient pas trouver la Syrie sur une carte, nous ont averti que la Syrie pourrait posséder du gaz moutarde, des agents chimiques, des agents biologiques, et les utiliser. Et quelles sont les sources ? Les mêmes spécialistes fantaisistes - qui ne nous ont pas averti du 11 septembre 2011 -qui insistaient pour dire que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive en 2003 ; les « sources du renseignement militaire anonymes », avec pour acronyme SRMU (en anglais « unnamed military intelligence sources - UMIS »)

Coup de théâtre

Et voila le coup de théâtre. Quelqu’un de la Canadian Broadcasting Corporation m’appelle pour me parler de l’usage d’armes chimiques qu’aurait fait Hafez al-Assad lors de la répression du soulèvement sunnite à Hama en 1982. Ses sources ? Les mêmes vieilles sources UMIS. Or, il s’avère que je me trouvais à Hama en février 1982 - raison pour laquelle les Canadiens m’appelaient - ; et si l’armée syrienne a massacré alors le peuple (qui avait lui massacré des officiels du régime et leurs familles), personne en Syrie n’avait eu recours à des armes chimiques. Pas un soldat que j’avais rencontré ne portait de masque à gaz. Aucun civil non plus.

L’air dangereusement parfumé que mes collègues et moi avions respiré en Irak, par exemple, après l’attaque de Saddam Hussein (alors notre allié) avec des armes chimiques contre les soldats iraniens, n’était pas là à Hama.

Aucun des survivants que j’ai interviewé pendant 30 ans depuis 1982 n’a jamais mentionné l’usage d’armes chimiques à Hama. Mais maintenant, on veut nous faire croire qu’il a été utilisé. Et, ainsi un nouveau conpte de fées pour enfants commence : Hafez al-Assad les aurait utilisés il y a trente ans. Donc son fils Bachar pourrait faire de même ! Du reste, n’était-ce pas parce que Saddam Hussein avait « gazé son peuple et pouvait le refaire » la raison pour laquelle nous avons envahi l’Irak en 2003 ?

Foutaise

Et, oui, plus gros est le mensonge, mieux c’est. Il est vrai que nous, journalistes, avons fait notre devoir en faisant circuler cette foutaise. Et Bachar - dont les forces ont commis suffisamment d’iniquités - va se voir accuser d’un autre crime qu’il n’a pas commis et que son père n’a pas non plus commis. Ouf, les armes chimiques, c’est une mauvaise nouvelle.
C’est pourquoi les États-Unis en ont fourni à Saddam Hussein avec les composants pour en fabriquer, ainsi que l’Allemagne (bien sûr).

C’est pourquoi, quand Saddam a utilisé ces gaz à Halabja, les UMIS ont dit à la CIA d’en faire porter la responsabilité à l’Iran. Et, oui, Bachar aurait probablement quelques vieux barils de produits chimiques rouillés quelque part en Syrie ? Madame Clinton est préoccupée qu’ils puissent « tomber entre de mauvaises mains » comme s’ils étaient à l’heure actuelle « entre de bonnes mains ». Les Russes ont demandé à Bachar de ne pas les utiliser. Oserait-il envoyer promener la seule superpuissance qui est son allié ?
Et, à propos, qui a été le premier à utiliser des gaz au Moyen-Orient ? Saddam ? Certes non. Les Britanniques, bien sûr, sous le commandement du général Allenby, contre les Turcs dans le Sinaï en 1917.

Et cela EST LA VERITE.


Robert Fisk
The Independent
8 décembre 2012.